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Soins


Soins

« Of course, it is happening inside your head, Harry, but why on earth should that mean that it is not real? »J.K. Rowling, Harry Potter and the Deathly Hallows.

« On ne choisit pas d’être malade mais on choisit de soigner ou pas. » L’infirmière l’installa dans la salle d’attente. Son sourire rayonnant ajouta : « Attendez ici. Le robot neuro-sci va venir vous chercher dans un quart d’heure environ. »

« A plus tard », la salua-t-elle tout en accrochant sa jaquette au porte-manteau.

Elle se mit à rêvasser tout en profitant de l’accueil qu’elle avait eu. « C’est fou comme il y a des gens qui ont le don de vous remonter le moral. »

L’infirmière était le soleil de l’équipe, c’est elle qui assurait le management et, son co-équipier s’occupait des robots soignants.

Le fauteuil bergère de soins s’alluma et indiqua : « Mme Luz, veuillez prendre place. Le robot neuro-sci souhaite que vous fassiez quelques examens. »

Aliénor s’exécuta.

Un rideau s’ouvrit. « Acceptez-vous que le robot neuro-sci ait accès à tout ou partie de votre dossier ? »

« Acceptez-vous une prise de sang ? »

Aliénor cliqua sur « Oui » en réponse aux deux questions. Un bras s’avança et la piqua sur le bras.

« Acceptez-vous une prise de tension ? » Aliénor cliqua faiblement et dut recommencer. La machine lui demanda de mettre son garrot automatique. Il était doux comme du velours mais il lui serra le bras comme un gant de fer. C’est une image, bien sûr ; c’était la machine qui avait une structure en fer. La balance s’éclaira à son tour. « Pouvez-vous vous peser s’il vous plaît ? » « Où est le bouton « Oui » ?, ah ça y est, il était passé sur l’écran du fauteuil bergère. »

Elle s’exécuta.

La balance s’éclaira à son tour. « Pouvez-vous vous peser SVP ? »

Elle s’exécuta à nouveau.

Une fois, les soins prodigués, le distributeur de boisson lui proposa d’en choisir une sur son écran. Aliénor choisit un kiwi pressé. Ça faisait du bien, un peu de réconfort, pour relâcher la pression. Les fourmis lui remontaient son bras qui n’était plus rouge. Elle fit particulièrement attention à bien savourer chaque goutte du jus. Cela la détendit encore plus. Blong ! Un dossier arriva dans le casier parfaitement taillé à cet effet dans un meuble superbe en forme de branche dans le vent. « Veuillez compléter ces questionnaires et remettre vos relevés de sommeil SVP ? »

C’était principalement des tests de personnalité et sur les évènements majeurs qui s’étaient produits depuis le dernier rendez-vous. Aliénor remplit tout consciencieusement puis rangea le dossier et les relevés dans la case pour que ce soit transmis au robot-sci. BizZZzZzz !

Un chauve passa la porte et cela la libéra momentanément de ses angoisses. Elle était bien, mais quand même, la psychiatrie, que de mal-être elle avait eu dans le passé. Il déclama : « Oh ! Moi, je prendrai bien un jus de raisin. »

Immanquablement, la machine s’exécuta.

Il prit le petit verre d’un œil enjoué. « J’aurais préféré un petit Bordeaux… »

Immanquablement, la machine s’exécuta.

Sur son écran, on pouvait lire : « Votre quota alcool vient d’être épuisé. »

Chouf ! La porte s’ouvrit. Il avait une forme humanoïde mais les concepteurs avaient choisi de le recouvrir de rose métallique. La lumière s’y reflétait magnifiquement. Est-ce ça ferait un arc-en-ciel de toutes les couleurs si on le mettait face à un spectre lumineux ?

« Merci d’avoir coopéré. J’ai pu analyser tous les résultats et j’ai tous vos dossiers. »

« Parfait. »

Le robot neuro-sci mit cartes sur table et expliqua la biochimie de son cerveau.

« Souhaitez-vous que je vous lise les dossiers ? »

Aliénor refusa car elle en connaissait le contenu.

« Je suis un modèle de la série V22-Z. Nous sommes tous interchangeables et nous partageons notre mémoire. Quel que soit le robot qui vous recevra, vous aurez la même relation… »

« Qu’avec n’importe quel autre, oui je sais. Merci. »

Il parlait sans aucune compassion. Ses concepteurs avaient jugé qu’il n’en avait pas besoin pour s’occuper de la biochimie du cerveau.

Après avoir échangé quelques détails techniques, le robot en vint vers le cœur du sujet :

« Vous avez été opérée il y a cinq ans sur des gènes déficients. Cela a très bien fonctionné mais vous et votre environnement avez changés et du coup, vos gènes s’expriment différemment. Il va falloir une nouvelle opération pour que vous vous soigner avec la meilleure qualité de vie possible pour vous et pour la société. Je vais vous prescrire des médicaments pour préparer l’opération. Nous devons en effet attendre que le sommeil soit de meilleure qualité. Je vais faire venir une psychologue pour qu’elle puisse vous aider à gérer cette nouvelle et pour qu’elle fixe un rendez-vous au moment le plus adéquat. » Opération robots, prêt, feu, partez !

Elle patienta en salle d’attente qui était désormais toute blanche.  « Rien que d’être ici ça fait du bien », songea-t-elle. La politesse, le travail bien fait, une bonne communication entre les différents interlocuteurs et surtout distinguer ce qui fait partie du cas général (avec le robot) de ce qui est particulier (avec la psychologue). Elle sentait jusqu’au plus profond d’elle-même qu’elle allait guérir.

Un flashback fit irruption dans son cerveau. Elle était mal reçue dans son hôpital, les malades psychiatriques n’étaient plus traitées à part. Les hôpitaux publics mélangeaient des gens aux pathologies très différentes. Le protocole voulait qu’il n’y ait pas de droit de sortie dans le but d’observer le patient et de décider ou pas de sa sortie. Et ce, même après qu’elle y soit internée volontairement une dizaine de fois. Ils la connaissaient, bong sang ! Les dossiers, eux, semblaient caler au feu rouge et leur contenu était surnommé « la mythologie médicale ». Elle était présumée coupable et jetée en «prison» à chaque fois. « On ne vous connaît pas, alors il faut qu’on vous observe. » Les deux jours de confinement servaient à voir si le patient consommait des substances, ce qui n’avait jamais été son cas. Si la consommation de substance avait drastiquement diminué dès qu’on avait pu proposer des médicaments efficaces ; seuls ceux qui n’arrivaient pas à se défaire de l’addiction… Pauvres eux…   Les drogués (alcool, médicament, cigarette, cocaïne, …) étaient spéciaux toute l’année, mais ils avaient fait l’erreur de s’auto-médiquer avec ces substances ce qui révélait à quel point la « médecine mythologique » était inefficace… Quand on a une maladie du foie, ça ne se voit pas, et les patients font confiance à leur médecin et se soignent. Pourquoi le malade psychiatrique devrait voir ce qu’il a pour qu’on accepte de le soigner? Et finalement, ce qu’on reprochait aux malades mentaux étaient souvent liés plus à la consommation de substance qu’à la maladie qu’ils cachaient ainsi.  Et puis, à la décharge des hôpitaux, il est parfois difficile de se souvenir ou de reconnaître les comportements de malade par les malades.

Puis, à la libération, on était confiné dans un parc avec des sentiers. D’ailleurs, l’idée qu’ils ressemblaient à des loups dans un zoo avait fleuri. Une fois, un chien loup en laisse était sur la terrasse, au milieu des anxieux fumeurs. La comparaison entre les patients et les loups était assez cocasse. Même s’ils montraient parfois les crocs, même s’il y avait parfois des accidents, le génocide qui avait été opéré contre eux était complètement disproportionné. La peur et non les faits avait rendu la vie des loups insupportable. Désormais, il n’en restait plus qu’au zoo. Un mouton de perte une fois de temps en temps, était-ce une exigence si déraisonnable ?

Qu’avait-elle fait pour mériter cette privation de liberté en dehors de chercher à se sentir bien et à ne plus nuire aux autres ? Ils n’avaient qu’à consulter son dossier médical s’ils souhaitaient savoir comment elle se comportait. Le personnel paraissait blasé. « Les fous, on s’en fout ! » aurait pu être un de leur mot d’ordre de grève.

Malheureusement, la mythologie médicale qui constituaient ces dossiers ne les aidait pas beaucoup. Très mal tenus et avec des quiproquos liés au manque d’écoute ainsi que des hyperboles excessives pour justifier les internements de force ou justifier le peu d’efficacité du traitement ; ces dossiers ne servaient qu’à renforcer les préjugés. Seules les dates des différents traitements était bien au clair, ainsi que les signalements ou plaintes ou dettes ou prison ou autres. Bizarrement, les informations dans ces domaines circulaient, elles, parfaitement bien. La plupart des médecins et les infirmières avaient peu d’empathie. Etait-ce pour pouvoir tenir le coup ?

Rejetaient-ils leur propre stress sur les patients si bien que c’était dans les moments les plus difficiles que les patients devaient se battre pour être soigné, d’une manière plus ou moins efficace selon les cas, avec ou sans l’aide de l’entourage qui assumait alors une surcharge de travail en saisissant les associations de défense des malades, secouer les mutuelles pour qu’elles se dépêchent, demander l’accès aux bilans, ou en insistant au téléphone pour avoir l’avis de chaque soignant ; et, avec au travail, une gestion du remplacement. « Bon sang ! Quel intérêt d’y être si on n’a pas la visite du médecin au moins une fois par jour. », avait une fois commenté la personne qui partageait sa chambre. L’attente latente pour avoir quoi que ce soit, une serviette, un médicament, une couverture, un nouveau traitement, une nouvelle chambre. Les médecins passaient à la fréquence de la comète de Halley. Les malades mentaux étaient relégués au rang de mendiant, à toujours demander tout. Per contre, les sacs des visiteurs n’étaient pas surveillés, ce qu’il fait qu’on pouvait avoir tout ce qu’on voulait, oui tout, à condition d’avoir un complice.

Et puis, toujours cette idée, que si on informe le patient, il va péter un câble. C’était bien plus l’inverse qui se produisait. Quelle souffrance de ne pas savoir ce que l’on a. Cela menait juste à délaisser le médecin et à demander des explications à l’entourage c’est-à-dire à étendre les effets de la maladie à l’entourage. C’était ça faire son job ? Eviter la crise dans son petit bureau pour que ce soit la famille qui se la taperait ?

Désormais, leurs homologues métalliques les assistaient dans leurs tâches ce qui les rendaient plus ouverts et plus enclin à les écouter. Cela coïncidait aussi avec le fait que les quotas de médecins avaient été supprimés et le travail réduit à 15h obligatoires par semaine. Tout le monde veut être en bonne santé et agréable en société. L’instinct grégaire…. Si les malades refusaient les soins, ce n’était peut-être pas du fait de la maladie mais plutôt de l’inefficacité des hôpitaux et des drogues prises illicitement ou pas. Les maladies étaient désormais diagnostiquées dans l’enfance et l’industrie de ces substances s’étaient écroulées.

Par chance, il y avait parfois un médecin qui arrivait à les guérir. Ils étaient alors surchargés par la demande et réagissaient en augmentant leurs prix. Mais, en augmentant le nombre de leurs patients, ils finissaient par n’avoir que la moitié du cerveau pour réfléchir, ce qui affaiblissait la qualité de leur travail. L’incubation, c’est essentiel sapristi ! Comment pouvait-on travailler 50h/semaine sans baisse d’efficacité. Et il faut de temps consacré à la recherche.

Victimes de leur maladie, victimes des tabous, victimes de leur exclusion, victimes de leurs soins ; certains faisaient le choix du pire destin et s’exécutaient.

Un énorme sourire fit irruption dans la pièce. Aliénor se rendit compte qu’elle ressassait le passé. Ses idées noires, qui avaient refait surface. Elle s’était habituée à ne plus en avoir ces cinq dernières années.

C’était la psychologue. Son visage était aussi harmonieux qu’un lotus en chair et en os. Cette dernière lui serra la main puis l’informa qu’elle avait une heure à lui consacrer. Combien d’heures passées dans son bureau ou au domicile d’Aliénor ? C’était impalpable en quantité mais pas en qualité ! Les rendez-vous n’étaient pas réguliers, la psy était disponible quand cela était nécessaire, voilà tout. Rien ne pouvait remplacer ce type de contact humain. Elle la suivait depuis… bien vingt ans maintenant. Avant de la rencontrer, il y avait un tel turn-over à l’hôpital et en ville qu’elle avait l’impression de ne pas avancer, de passer son temps à dire les informations pour démarrer… Faire connaissance puis le soignant prenait une décision au bout d’un quart d’heure. Le passé resurgissait à nouveau ; et elle se força à être dans le présent. « Regarde, Ecoute, Touche, Sens, goûte » firent intrusion dans ses pensées.

Elles discutèrent de choses et d’autres devant un thé au jasmin. Aliénor appréciait que Mme Chaux fasse son diagnostique tout en la ménageant. Mme Chaux consulta le robot neuro-sci et lui tendit une feuille :

(a) Opération CRISPR pour modifier les gènes défectueux

(b) Traitement par phytothérapie et réflexologie

©  Traitement médicamenteux à prendre trois fois par jour

(d) Ne rien faire

La liste était classée dans l’ordre de préférence du robot neuro-sci et de la sienne. Aliénor fut tentée par la deuxième option car elle aimait les remèdes respectueux de la nature. Mais elle préféra la première option car un seul shot lui permettrait de ne plus penser à la maladie par la suite.

« Est-ce que je pourrait reprendre le travail ? », s’enquit-elle.

« Si vous le souhaitez, sinon je peux faire un arrêt. Vous avez 83 ans tout de même ! »

« Non, je préfère travailler. J’y vois du monde et mes collègues sont de vraies friandises. »

Quand Aliénor avait 40 ans, elle n’aurait jamais cru qu’elle dirait une chose pareille, de plus à huitante-trois ans. Elle n’en pouvait plus à l’époque… Le stress, le mauvais management, la compétition, … La réduction du temps de travail à 15h hebdomadaire pour tous avait été possible grâce à la robotisation de la société couplé d’une meilleure répartition des richesses. La société avait évolué à la vitesse de la rock science. Les humains n’occupaient plus que les postes où il fallait des caractéristiques bien humaines, à mpoins qu’ils ne fassent une demande. Il y avait toujours quelques farfelus qui préféraient le travail des robots, et leur point de vue différent était souvent précieux.

Surgit un souvenir dans sa tête qui fit tomber l’ambiance. Elle pensait à la révolte qui avait eu lieu une fois alors qu’elle était hospitalisée. A 4h du matin, les malades mentaux avaient mis la musique à fond dans les couloirs. Chaque étage n’était pas accordé sur la même musique. Ça n’avait servi à rien, bien sûr, mais finalement ; ils reprochaient à leurs soignants d’être beaucoup trop métallisés avec leur sacré proticole. Aliénor se creusa la tête pour imaginer une statue représentant le bien trop vénéré protocole.

Mme Chaux la sortit de sa rumination. « Aliénor… Aliénor… Pouvez-vous venir après-demain soir. J’ai interrogé la base sur votre sommeil et cela ne réduira en rien votre travail puisque ce n’est pas un de vos jours travaillés.»

« Très bien. »

« Il serait préférable de venir la veille pour que l’hosto optimise les conditions de l’opération (qualité du sommeil, régime alimentaire, prises de sang, ect…) ».

Aliénor se réjouit. Le chef cuistot de l’hôpital était un passionné, très créatif. Il avait une base de donnée avec tous les goûts d’Aliénor, et ce depuis sa première visite à l’hosto.

Encore un bienfait des 15h/semaine. On pouvait se reconvertir pour sa passion facilement.

On avait le temps ?!! Un robot-prof loué à la journée était suffisant. Les concepteurs les avaient recouverts de peau humaines, fabriquée par greffe, pour que les élèves se sentent plus à l’aise mais le robot en chair et en fer faisait plutôt pitié à voir. De plus, c’était tr ès coût et très contraignant du fait du contact de la peau avec l’électricité solaire. Les professeurs de l’université pour tous étaient disponibles pour compléter la formation des robots-enseignants et pour les aider à se repérer dans les portails internet où toutes les connaissances étaient débattues et toute idée notée par ses pairs. Tous les cours étaient des cours particuliers et étaient dispensés sur demande et à n’importe quel âge ou statut social (non pas la statue du protocole, ça n’a rien à voir).

C’est grâce à cela que la recherche dans tous les domaines avait fait un bond lunaire. Et surtout la recherche en neurosciences. Le retard Everestique avait été rattrapé en quelques années seulement. Ce phénomène était désormais surnommé mission doudoune.  .. « Mission doudoune… Quelle bonne blague ! » La lèvre supérieure d’Aliénor forma une sorte de sourire-grimace assez niais. La psychiatrie n’était plus l’Alien de la médecine. Son mari avait ainsi été soulagé des heures de soins infirmiers qu’il lui prodiguait depuis leur rencontre. La solidarité de leur couple avait été allégé. Leurs pas guillerets les avaient amenés à voyager plus. Et il y en avait des beaux coins sur cette planète. Malheureusement, quelques catastrophes « naturelles » … Enfin, c’était une expression tant elles avaient été le fruit de l’avarice de quelques-uns… Sans aucune autre raison que « l’altère des traditions », la chambre était aseptisée. Sur la porte on pouvait lire des consignes, histoire de savoir ce qui était autorisé ou non. L’infirmière frappa à la porte et attendit qu’Aliénor vienne lui ouvrir.

« Voici le robot-soin qui va vous accompagner. Il enregistrera aussi votre sommeil pour que le psychologue et le robot-sci puisse comparer les effets de l’opération avant/après. Il est préférable que vous soyez couchée à 22h. Bonne nuit. »

« Guten agen », répondit Aliénor.

Que c’était top d’avoir une chambre individuelle ! Dans le temps, les patients s’agressaient à coups de cigarettes au lit, prêtes à faire brûler l’édifice, ou d’autres carrément qui, en plein milieu de la nuit, hurlaient au-dessus du lit de l’autre patient qui avait le malheur de partager sa chambre. Aliénor n’était jamais à son aise quand il fallait dormir avec un aliéné en pleine crise. Heureusement qu’il y avait les groupes de malades encadrés par une gentille infirmière. Mais il fallait quand même une bonne mutuelle qui agissait au bout de trois ou quatre jours pour obtenir la chambre individuelle. Les associations aussi devaient être mobilisées pour obtenir des soins efficaces sans avoir à harceler le personnel à chaque fois que l’on souhaitait un médicament. Les rechutes étaient vites arrivée.  La panacée cette chambre !

« Oups ! C’est l’heure du repas en salle. » Aliénor enfila ses sabots. Les portes se fermaient automatiquement mais seulement quand Aliénor avait quitté les lieux. Cela évitait les vols.

Ça sentait bon la sauce tomate. Aliénor s’assit à sa place et salua les autres patients en ronde autour de la nappe. Elle cliqua et obtint du mascarpone avec des framboises fraîches et un peu de menthe fraîche, elle aussi. Les convives avaient une conversation tout à fait normale, pas comme dans le temps où il fallait par moments supporter le comportement de drogué en manque, les agressifs et les amateurs de grivoiseries.   Certains partageaient leur repas avec leur conjoint, leur famille ou un invité. Ils avaient alors une table rien que pour eux. Tout était très détendu.

« Les malades d’aujourd’hui auraient été considérés sains autrefois.  Quelle chute de géant quand le tabou psy était tombé ! » Cela avait été un peu le fait du Prince qui avait pris ce tabou comme monture de bataille ; mais surtout des référendums qui avaient dit oui à la recherche dans la plupart des pays consultés. Quelque pays étaient toujours des dictatures mais le référendum s’était banalisé dans le monde. Ces référendums permettaient également de voir les idées avec lesquelles les pays étaient d’accord et favorisait donc le travail collaboratif entre chefs d’Etats.

Les paupières d’Aliénor se refermèrent. « Sacré somnifère ! ». Après avoir salué le groupe, elle alla se coucher et dormit comme un cheval ; le robot-soin à ses pieds.  Il l’avait aidé à choisir son réveil, et elle avait choisi un bip assez doux. Elle n’aimait pas quand une infirmière ou un robot-soin fasse irruption dans la chambre sans avoir frappé. C’était, à son avis, un réveil beaucoup trop brutal.

Un bip retentit et le robot-soin l’emmena vers la douche. Il portait ses vêtements, le savon, l’argile verte et les chaussures. C’était bien pratique… Il avait la forme du célèbre R2D2 avec des bras en plus. Son tissu au motif traditionnel lui donnait un air de rideau. Cette pensée traversa l’esprit d’Aliénor. « Le concepteur de ce robot s’est lâché ! » Elle se retenait de rire.

Il la conduit ensuite vers la salle à manger. Il lui demanda simplement « Opé ? ». C’était une blague de robot qui signifiait : « opérationnelle ?». Il cherchait à la détendre mais alors qu’elle s’amusait, elle ne pouvait ignorer ses muscles qui étaient tendus malgré tout.

Elle avait peur, malgré sa confiance dans la réussite de cette opération. Les plaisanteries des autres malades l’aideraient à table à penser à autre chose. L’odeur des viennoiseries amenée pour le petit déjeuner chatouilla ses papilles. « Non ?!! Pourquoi non ? » Le robot soin mit son témoin au rouge. « Mauvais pour Opé » Cela ne la fit pas rire du tout. « Un yaourt et basta ! » rajouta le robot-soin. L’odeur des gourmandises, si réconfortante au début finit par lui taper sur le système. « Tiens, si je lui tapais sur la tête ! » spécula-t-elle. « Non, ce n’est pas parce que c’est un robot qu’on doit mal se comporter. » La torture dans le nez, elle se résigna et répondit « No problemo. »

A l’approche de la salle d’opération, son cœur se mit à battre la chamade. Après tout, les gènes, c’est ce qu’il y a de plus intime. Elle avait peur de devenir quelqu’un d’autre alors qu’elle faisait justement cela pour être quelqu’un d’autre. Elle avait très peur de perdre le contrôle d’elle-même, de ne plus faire ce qu’elle souhaitait, de se sentir dans un carcan, la tête dans un étau ou le cœur agité. Elle pourrait vivre en pleine conscience de son environnement sans que des pensées envahissent son esprit et se superposent à sa vie.

Son idéal à elle, c’était de ne plus avoir de moment de désespoir ou d’idées suicidaires. Plus d’attitudes bizarres, qui étaient très occasionnelles dans son cas, deux à trois jours tous les 6 mois environ mais qui suffisaient à faire peur aux autres et par la suite à se faire exclure. L’exclusion était une réponse violente et disproportionnée par rapport à son état. Les gens qui ont peur font les mauvais choix.

Ceci dit, après les campagnes d’information, les gens avaient moins peur des comportements atypiques. Les campagnes avaient insisté sur le fait que les mentaux étaient bien plus souvent, et de manière très tranchée, victimes qu’auteurs de violence.

Le passé resurgissait. « Focus » s’ordonna-t-elle.  Vivement l’opération pour que le présent reprenne le dessus. Elle commençait à en avoir marre de ces souvenirs. « C’était pire avant .. Eh bien, cocotte, profite du présent ! » se motiva-t-elle. « Focus »

Aujourd’hui, elle était maîtresse de son destin. Elle n’avait plus peur.

Tout était blanc dans la salle d’attente. « Il y a eu des enfants juste avant. » l’informa les dents d’un blanc éclatant. « Vous pouvez jouer au décorateur d’intérieur si vous ne voulez pas avoir mal à la tête dans 10 minutes. » Aliénor choisit des murs murs recouverts d’une tapisserie verte au motif très raffiné de différents animaux. Elle sélectionna ensuite des chaises très douces de velours vert sombre et un canapé en cuir beige, un tapis vert pour finir le tableau et elle trinqua avec un kiwi pressé aux somnifère.: « Un verre eau vert ! »

Elle ouvrit les yeux. Les machines qui l’avaient opérée sentaient le neuf. Le contact était froid. Qu’est-ce que c’était ? Du métal ? Non, sans doute, une nouvelle invention. Des inventions, il en pleuvait !

« L’opération est terminée, je vais vous raccompagner à la sortie. » Le robot-soin tournait sur lui-même à vive allure.

« Quelle allure, ce robot-soin. » s’amusa Aliénor. « Alors, ça y est. Je serai toujours moi-même et dans le présent. »

« Si cela n’est pas le cas, il faudra reprendre rendez-vous avec la psychologue et le robot neuro-sci.

« Danke so much », conclut-elle en s’adressant aux machines.

Son mari vint la chercher.

« Alors, comment c’était ? »

« Ouh là là, mon chéri ! C’était toute une histoire ! »

T-soin T-soin T-soin, la blague pourrie…

Aurianne Or


Une histoire anecdotique de la psychiatrie suisse | Gérard Salem: livre sur L’histoire de notre psychiatrie racontée par sa descendante en 2050: http://www.gerardsalem.com/une-histoire-anecdotique-de-la-psychiatrie-suisse/

De l’asile au centre psychosocial : Esquisse d’une histoire de la psychiatrie suisse Broché – 1 janvier 1996 de Christian Muller: https://www.amazon.fr/lasile-centre-psychosocial-Esquisse-psychiatrie/dp/2601031689

Conférence hommage à Christian Muller: http://isps-suisse.org/wp-content/uploads/Hommage-%C3%A0-C-M%C3%BCller.pdf

Prince William makes Davos appeal to break mental health stigma – guardian: https://gu.com/p/ah2c4/stw and Prince William more CEOs need to talk about mental health: https://youtu.be/tPqpDQg0hFI

MIT research institute commited to understanding the brain in health and disease – McGovern Institute: http://mcgovern.mit.edu/about-the-institute

Mental ill-health at the workplace: Don’t let stigma be our guide – ILO: http://www.ilo.org/global/about-the-ilo/newsroom/features/WCMS_316838/lang–en/index.htm?shared_from=shr-tls

John le Carré, The Constant Gardener: https://www.goodreads.com/book/show/19000.The_Constant_Gardener and https://en.wikipedia.org/wiki/The_Constant_Gardener_(film)

Wikipedia on Mental disorder: https://en.wikipedia.org/wiki/Mental_disorder

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